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Besoins essentiels et bulles de savon.

ANNE LAFOURCADE

Risque immédiat ou risque diffus ?


Avant la crise du COVID, j’exerçais une activité en voie d’apparition, une activité d’expert de la prévention en santé environnementale. Un métier autour de la sensibilisation au risque diffus, sournois, que représente notre exposition aux produits chimiques qui ont envahi le quotidien de toute la planète en moins d’un siècle.


Une menace fantôme, une bombe à retardement, une des causes très probable de la majorité des « épidémies » de maladies chroniques (cancers, diabète, obésité,…) subies partout sur la planète. Aujourd’hui je suis un peu désœuvrée, ma cause à défendre est loin d’avoir disparue mais elle a été submergée, assourdie. La prévention en santé environnementale est devenue inaudible face à un danger immédiat et palpable, bien que lui aussi sournois et invisible : le VIRUS. Quand le petit chaperon rouge tombe nez à nez avec le loup, elle ne se demande pas si la confiture dans son panier ne va pas aggraver le diabète de sa grand-mère !


Bien sûr il y a une différence de taille entre risque chimique et microbiologique : le covid 19 nous rend spectaculairement malades, déborde notre système de santé, tétanise tout.


Le risque chimique lui, sauf accident toxique industriel (comme à Rouen récemment), fait son petit chemin en faisant beaucoup moins de bruit ; lentement il induit des effets cocktails, paradoxaux, transgénérationnels, des effets qui fragilisent certains : ceux qui décèdent aujourd’hui dans nos hôpitaux sont victimes de la défaillance de leur système immunitaire déjà occupé à lutter contre d’autres « défaillances » du système.


Mais il n’est pas l’heure.


Pas l’heure d’en rajouter à votre angoisse avec ces histoires-là. A chaque période suffit sa peine et de la peine on en a tous actuellement. Mais nous avons aussi du temps, du temps qu’on peut utiliser à mener quelques réflexions sur notre « situation ».



Manger boire respirer ?


3 verbes d’action, 3 besoins essentiels et vitaux.


Peut-être que les milliers de personnes en insuffisance respiratoire dans le monde diraient plutôt aujourd’hui respirer boire manger, dans cet ordre-là.


Il y quelques mois, le conseil départemental de la Gironde, lançait une campagne de communication visionnaire basée sur ces 3 verbes d’action pour illustrer la question de la « résilience territoriale ». Depuis l’Histoire nous a rattrapés et la question de la garantie des besoins essentiels ne relève plus d’une science-fiction politique ou télévisuelle. Nous y sommes. La crise que nous connaissons révèle votre vulnérabilité au grand jour.


Et cette question apparaît : qu’est-ce qu’un besoin essentiel ?


Besoin essentiel ?


Dans une publication de juin 2019 relayée par l’association HEAL (1), des scientifiques proposaient de trier les produits chimiques préoccupants (notamment les PFOA ou composés perfluorés) selon 3 catégories :


1. Ceux dont la fonction n’est pas essentielle pour la santé, la sécurité ou le « fonctionnement de notre société »

2. Ceux ayant des fonctions « importantes » mais pour lesquelles il existe des alternatives plus sures

3. Ceux considérés comme essentiels pour la santé la sécurité ou toute autre usage socialement important et pour lesquels il n’y pas encore d’alternatives évitant ces molécules douteuses.


Intéressant mais …. qui va décider de ce qui relève de l’essentiel ou de ce qui est de la «bullshit technology » inutile et parfois dangereuse ?

Et si nous regardions ce sujet un instant à travers …..une bulle de savon ?



Le savon, produit de première nécessité ?


Et voici donc soudain la savonnette comme seule arme domestique face à la déferlante du covid 19.

Votre œil s’est peut-être arrêté la semaine dernière sur une infographie du MONDE (2) qui expliquait comment la molécule de savon agit sur le virus.

Un virus est une séquence génétique protégée par une membrane. Le virus Sars-CoV-2 est large de quelques dizaines de nanomètres ; il est un assemblage moléculaire fragile de trois « ingrédients ». Les protéines en pointe (infectant les cellules) qui le font ressembler à une tête couronnée d’où son nom de coronavirus, une membrane lipidique protectrice et du matériel génétique viral. Le savon contient des molécules surfactantes ou tensio-actives, dont une extrémité aime l’eau et l’autre non (préférant les corps gras). Sa tête hydrophile se lie à l’eau, sa queue hydrophobe ne se lie pas à l’eau. Les surfactants, chimiquement proches des lipides, entrent en compétition avec les molécules de la membrane du virus, les poussent et font exploser l’édifice. Les surfactants entourent alors les débris gras et forment de capsules emportées par l’eau.


Tout cela vous semble bien scientifique ? Pourtant on sait faire du savon depuis des millénaires, notre défense contre le virus est primaire, simple, basique. Un savon c’est un corps gras (de l’huile) que l’on mélange à un corps alcalin (de la soude). Il résulte de ce mélange une réaction chimique produisant du savon et de la glycérine. La soude industrielle est produite de nos jours essentiellement par l’électrolyse du sel marin mais on peut aussi utiliser de la cendre de bois (!) à la place de la soude car elle contient de la potasse, une autre base alcaline avec laquelle une réaction de saponification est possible.


Et le gel hydro alcoolique ? Si l’éthanol est présent à au moins 60 % - 70% dans la formule, il détériore les protéines de la couronne du virus et affaiblit aussi la cohésion de la membrane. On le mélange généralement à de la glycérine qui lui donne la texture de gel : cela permet une application plus facile et permet à l’alcool d’avoir le temps d’être efficace avant de s’évaporer. L’éthanol aussi, nous savons le produire ancestralement, simplement et localement à partir de la fermentation de sucre de betterave ou de céréales.


En résumé le cœur de la stratégie des gestes barrières recommandés par les experts dans la lutte au quotidien contre le virus peut se résumer à une transformation simple de quelques produits de base, des végétaux, du sel marin pour obtenir du savon et du gel hydroalcoolique.

Des choses simples, basiques, maîtrisées.


Il est où le "progrès", il est où ?


Dans ce domaine de l’hygiène, (comme dans bien des domaines de consommation courante) notre quotidien a été inondé par des milliards de produits, par des milliards de publicités créant des milliards de besoins insensés. Un marketing débridé, une sophistication des circuits, des messages, plus rien de simple. Une sophistication des produits aussi, avec le recours démesure à la pétrochimie de synthèse dans nos aliments, nos cosmétiques, nos produits de bricolage, de nettoyage, nos vêtements, les jouets des enfants, etc...


Le message de base des marketeurs peut se résumer ainsi « Mais Madame vous n’allez quand même pas vous laver avec du savon ? alors que nous avons du gel nettoyant au pH neutre, du pain dermatologique, des lingettes imprégnées, du savon sans savon, du désincrustant, du surgras, du syndet, de la solution micellaire, de l’eau nettoyante, du gel douche sans parabènes ? »

Pourtant, la grand-mère de Madame était propre et jolie aussi. Elle trouvait des ressources simples et basiques pour répondre à un besoin, avant la sophistication, la complexification avant la multiplication des propositions (pour la plupart semblables du point de vue des ingrédients et d’efficacité équivalente)


La vérité c’est qu’il n’y a pas de technologie incroyablement indispensable pour combler nos besoins essentiels : ni pour se laver, ni pour bien manger, bien dormir, avoir un habitat sain et accueillant.

Attention il ne s’agit pas de tomber trivialement dans le « c’était mieux avant ». A l’heure où tous les yeux se tournent vers les scientifiques, il n’est pas question d’un retour dans le passé, les progrès de la médecine et des techniques sont des acquis qui nous permettent aujourd’hui de combattre le virus, demain d’autres pathologies. Quand elle sert à imprimer une pièce de respirateur artificiel, une imprimante 3D est une bénédiction !


En revanche il est peut-être grand temps de dédier nos ressources et notre argent à ce qui en vaut vraiment la peine ?


De l’essentiel et du superflu : manger boire respirer?


La technologie n’est pas la science.

Faut-il (encore !) citer Rabelais pour s’en souvenir ? Se souvenir que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Aujourd’hui, on pourrait mettre toute notre énergie et notre savoir au service de programmes de prédictions météo qui aideront les agriculteurs de demain à produire malgré les phénomènes climatiques de plus en plus aléatoires. Pourtant certains continuent d’utiliser leurs neurones pour développer des applis pour couches connectées qui font bipper le téléphone des parents quand bébé aura fait pipi.

Est-ce que ce monde est sérieux ? arrêtez de jouer nous dit peut-être ce virus !

Profitons de cette période pour questionner nos priorités mais aussi nos besoins !


Quitter son caddie ?


Regardez les pubs qui raccourcissent à la télé parce que les annonceurs ne peuvent plus (momentanément) écouler leurs objets. Vous souvenez vous-même de celles qui ont disparu des spots publicitaires depuis 4 semaines ?

Foules sentimentales, qu’est-ce qui vous aura manqué le plus en cette période ?

Les choses à acheter ou les étreintes ?


En attendant qu’on se sorte de ce cauchemar, on va respirer, manger, boire…et ...

SE LAVER LES MAINS en pensant peut être au pouvoir extraordinaire d’une essentielle, simple et basique molécule de savon.

(1) https://www.env-health.org/scientists-propose-concept-of-essential-use-to-organise-phase-out-of-pfas-and-other-groups-of-chemicals-of-concern/

(2) Comment le savon permet de détruire le coronavirus /Découvrez comment les propriétés physico-chimiques des molécules de savon permettent de détruire le SARS CoV-2. Par David Larousserie, Eric Dedier et Audrey Lagadec Publié le 24 mars 2020 à 09h52 - Mis à jour le 24 mars 2020 à 14h36

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