Notre position pour consultation publique sur la SNPE2 (STRATÉGIE NATIONALE PERTURBATEURS ENDOCRINIENS)
AUTEUR : Anne Lafourcade, ingénieur libéral chimie santé environnement, fondatrice de l’agence alicse
DATE : 23/01/19
RESUME DE NOTRE POSITION :
« La publication de l’étude sur la composition des couches pour bébés par l’ANSES le 23/01/19 provoque une nouvelle fois une prise de conscience générale de l’ampleur de l’exposition des populations aux substances chimiques les plus préoccupantes. Cette étude met en évidence une lacune gigantesque de notre système règlementaire : citoyens, chercheurs, préventeurs et pouvoirs publics n’ont pas accès à la composition chimique de la quasi-totalité des produits de grande consommation.
Ces produits sont pourtant vendus dans nos supermarchés, omniprésents à notre domicile, et vecteurs avérés de toutes les molécules suspectées d’être des perturbateurs endocriniens ou des toxiques.
Nous sommes soumis en permanence à une soupe chimique, une menace fantôme pour l’avenir même de notre espèce, et nous n’avons même pas accès à la composition de cette soupe !
Il est temps d’imposer la transparence.
Exigeons la généralisation d’un étiquetage indiquant la liste exhaustive des molécules utilisées par l’industrie sur tous les produits courants. »
Une consultation nationale sur les perturbateurs endocriniens est en cours jusqu’au 08/02/19 : profitez de cette fenêtre de tir pour faire entendre votre voix !
Si vous manquez de temps et partagez notre détermination, vous pouvez tout simplement coller le résumé ci-dessus sur la page de la consultation .
ARTICLE COMPLET :
Une lacune gigantesque
À la lecture de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens 2, on découvre des actions et mesures phares certes ambitieuses, mais qui semblent pour la plupart bloquées et alourdies par une gigantesque lacune dans notre système réglementaire européen :
Citoyens, chercheurs, préventeurs et pouvoirs publics n’ont pas accès à la composition chimique de la quasi-totalité des produits de grande consommation.
Ces produits sont pourtant vendus dans nos supermarchés, omniprésents à notre domicile, et vecteurs avérés de toutes les molécules suspectées d’être des perturbateurs endocriniens.
Seuls les règlements sur l’étiquetage alimentaire, la directive cosmétique et quelques exceptions (biocides dans les produits ménagers par exemple) sont garants d’une certaine transparence et permettent l’accès à ces données essentielles.
L’exemple cosmétique
En Europe, depuis 1998, tous les cosmétiques doivent afficher sur leur emballage la liste complète des ingrédients dans l’ordre décroissant de leur quantité (liste dite « INCI »).
Sous cette règle toute simple se joue un enjeu énorme : celui de la transparence.
Cette obligation permet aux consommateurs de monter facilement en compétence pour mieux choisir leurs produits ; elle permet aux associations de consommateurs de mieux les informer via notamment la création d’applications pour smartphone ; elle permet aux scientifiques, experts, bureaux d’études et chercheurs d’accélérer leurs travaux en comparant facilement les produits cosmétiques entre eux.
Les conséquences de l’absence de transparence et de traçabilité sur les produits
A contrario, l’absence de cette règle sur la quasi-totalité des autres produits de grande consommation à base de substances de synthèse (jouets, couches, meubles, matériaux de construction, peintures, loisirs créatifs, textiles, électroménager, puériculture, vaisselle, etc.) conduit à quatre écueils préoccupants :
1/ Freiner les recherches
Les agences nationales mènent des expertises toxicologiques (exemple : ANSES sur les protections intimes, les jouets, les couches…) basées sur des analyses chimiques extrêmement onéreuses (à la charge de l’État et des contribuables) pour essayer d’identifier les composants présents dans ces produits.
De plus, l’absence d’une liste de substances fournie par le fabricant alourdit sensiblement leur travail : en chromatographie, on ne trouve que ce que l’on cherche et il est quasiment impossible de déterminer exhaustivement, substance par substance, la nature et la teneur des produits les plus courants.
L’absence de transparence de la part des fabricants est donc un frein technique et économique majeur à l’avancée de la recherche sur les PE.
2/ Déstabiliser le consommateur
Face au manque de transparence et de traçabilité le déficit de confiance s’installe (notamment depuis l’affaire de la viande de cheval SPANGHERO en France).
Consommateurs et clients doutent. Ils doutent face aux revendications marketing trop prometteuses. Ils doutent de la qualité des produits proposés. Ils doutent de l’honnêteté des démarches. Ils doutent de la capacité des administrations et des réglementations à les protéger des allégations trompeuses et des produits peu qualitatifs, voire dangereux pour l’Homme, et par extension pour son environnement.
Le show me fait place au trust me : « Prouve-moi que tu fais bien et je te ferai confiance ».
Face à cette incertitude, les ONG (Greenpeace, FNH , FNE…), les associations de consommateurs et journaux spécialisés (Que choisir, Okö-test…), les organismes de contrôle publics ou privés (AFNOR, Ecocert, Nature et Progrès…) se placent en arbitre. Leur avis fait foi face à la jungle des promesses.
Cependant, il n’existe pas forcément un label fiable derrière chaque produit, et le consommateur se perd dans cette jungle « verte », « durable » et « écoresponsable ».
3/ Affaiblir l’ensemble des filières industrielles
Ainsi les « préventeurs » (associations environnementales ou de consommateurs, agences nationales), à défaut de confiance vis-à-vis des produits dits « de substitution » proposés par les industriels, engagent des politiques de prévention dites « d’évitement ».
On pourra citer notamment le cas du bisphénol A (BPA), retiré de la vaisselle plastique en 2015 et remplacé par les industriels par d’autres plastiques mal connus (voir rapport ANSES sur les substituts au BPA) et dont la composition exacte n’est pas indiquée. En 2017, des traces de BPA ont été trouvées dans les assiettes en copolyester utilisée par la mairie de Bordeaux ce qui a conduit au retrait progressif de ces assiettes pourtant neuves au bénéfice d’une nouvelle référence en verre (à lire dans "Pas de plastique dans nos assiettes ! - Des perturbateurs endocriniens à la cantine " – association Cantine sans plastique, France, Éditions du DÉTOUR 2018).
Ainsi faute de recul et de données traçables et transparentes fournies par les fabricants, les préventeurs et les associations choisissent à juste titre d’orienter les consommateurs vers des alternatives simples et des technologies maitrisées, car plus anciennes, en évitant les innovations.
Il est donc évident que cette stratégie d’évitement finira par fragiliser économiquement les industries qui ne feront pas le jeu de la transparence sur leurs « innovations ».
4/ Favoriser les importations de produits non conformes en Europe
Les importateurs et metteurs sur le marché n’ont bien souvent pas eux-mêmes accès à la composition exhaustive des produits qu’ils achètent hors ou dans la communauté européenne. En effet, la directive REACH reste extrêmement imprécise, notamment pour les « articles » (au sens de REACH), c’est-à-dire les objets de types jouets, meubles… Pour ces produits, les règles d’étiquetage sont beaucoup plus laxistes que pour les mélanges de substances chimiques (détergents, peintures, colles…)
Ainsi, pour une colle en tube, par exemple, on peut avoir accès à une fiche de données de sécurité qui liste au moins les substances classées dangereuses (selon la règlementation CLP), mais qui ne concerne encore que très peu de perturbateurs endocriniens.
En revanche, un importateur de meubles en bois aggloméré a peu de chances d’avoir accès à la composition de la colle qui agglomère le meuble en question, il devra se fier uniquement à un marquage CE sans autre information de composition chimique.
Pour mémoire, le marquage CE n’est pas infaillible (voir les procédures RAPEX notamment), et il est proprement impossible d’analyser tous ces objets importés.
Imposer la présence d’une liste de produits chimiques ne stopperait évidemment pas les fraudes mais permettrait d’identifier beaucoup plus facilement les fraudeurs.
Pourquoi l’étiquetage type « INCI » de la composition n’est-il pas généralisé aux autres produits en Europe ?
L’industrie bloque la possibilité d’accès aux compositions chimiques en invoquant la protection de la confidentialité des données industrielles privées. Divulguer les substances chimiques courantes utilisées dans les produits conduirait ainsi à lever une part du « secret industriel » et à impacter les intérêts économiques des firmes concernées ?
On peut légitimement se demander à quel point une telle mesure serait réellement nuisible à l’économie. En effet, en reprenant l’expérience de l’industrie cosmétique, on peut rappeler que depuis la mise en place en 1998 de l’étiquetage INCI, ce domaine a connu 20 ans de croissance à l’échelle mondiale avec en moyenne plus 4 % par an.
La mise à disposition de la composition des produits n’a pas vraiment conduit à un impact économique défavorable, elle n’a pas non plus freiné la créativité des chercheurs.
Bien souvent, « le secret de fabrication » des formulateurs ne réside pas dans les ingrédients mais dans le process. Sans être simpliste, on peut aisément faire le parallèle avec les recettes de cuisine : en mettant dans les mains d’un chef étoilé et d’un quidam la même liste d’ingrédients, vous n’obtiendrez vraisemblablement pas le même plat.
Conclusion et pistes d’actions
Il semble donc capital de porter sur le devant de cette consultation publique sur les perturbateurs endocriniens cette faille réglementaire délétère pour la protection des citoyens.
Nous sommes soumis en permanence à une soupe chimique, une menace fantôme pour l’avenir même de notre espèce, et nous n’avons même pas accès à la composition de cette soupe !
Avant de pouvoir changer la (trop) lourde réglementation européenne pour lutter contre les perturbateurs endocriniens (selon les propositions du plan d’action 2019-2022 qui sont néanmoins très intéressantes), pourquoi ne pas encourager (commercialement, fiscalement…) les industriels et entreprises qui accepteront de rendre publique la composition chimique de leurs produits ?
Cette logique de transparence et de traçabilité (pourquoi pas récompensée par un label ?) permettrait :
la fin de la communication sur le « SANS » (peintures sans COV, PVC sans phtalates…) au bénéfice d’un étiquetage fiable, vérifiable, transparent.Exemple : « la mousse de ce coussin a été ignifugée AVEC les 3 composés polybromés suivants… » ETC….
l’accélération des connaissances en facilitant le travail des chercheurs
l’accélération de la protection des citoyens en ayant une meilleure visibilité sur leurs expositions réelles.